Nous avons laissé Henry sur les quais et pontons de la marina de Pointe à Pitre.
Il fait le tour des copains, et tout le monde connait "le fou d'anglais qui ...", mais il va renconter sur le Pheb, son ex-bateau, une personne qu'il ne connait pas et qui, elle, ne le connait que de ouï-dire.
Elle, c'est Elisabeth, fraîchement débarquer de Métropole.
Elisabeth est née à Bar-le-duc et y a fait ses études. De la mer, elle n'en connaissait pas grand-chose, sinon les fréquentes vacances passées à Saint Servan en Bretagne.
Un BTS d'assistante d'ingénieur en poche, elle obtient un poste d'assistante de chef des travaux au lycée d'Evreux. La perte prématurée de ses deux parents la bouleverse profondément.
Elle décide de changer d'air, et sur les conseils d'un collègue, elle fait une demande de mutation en Guadeloupe.
Fin 1974, Elisabeth débarque pour regagner son poste au lycée de Baimbridge. Elle est accueillie par Robert, un bon copain d’Evreux. Il gardienne un bateau qu’un de ses amis vient d’acquérir, le "Pheb" (ancien bateau des phares et balises, transformé en voilier par Henry).
Changement pour changement, elle s'installe provisoirement, en tout bien tout honneur, à bord. Elle intègre son nouveau poste auprès du chef des travaux et la vie s'organise au lycée comme à bord.
Si la vie professionnelle ressemble à ce qu'elle a connu à Evreux, pendant ses loisirs, elle découvre la vie des nomades de la mer.
Pendant trois mois, elle côtoie les navigateurs et aventuriers de tout poil ; mai 68, c'est hier.
Dans ces soirées sans fin, chacun y va de ses histoires et de ses péripéties. Se sentant dans son élément, elle accède à la demande de Christian, un collègue de travail qui lui propose de partager l'achat d'un petit voilier (8 m) en bois, "Iwana", qu'il a déniché sur un chantier en Martinique.
Comme toutes les bonnes choses ont une fin, l'arrivée de son déménagement la contraint à prendre un appartement. Elle n'en continue pas moins à se retrouver, le soir, à bord de l'un des bateaux de ceux qui sont devenus ses amis. Un personnage est souvent le sujet de leurs conversations : Henry Wakelam.
Il retape, depuis 7 ou 8 ans, un bateau de 40 m. Il vit avec son fils Ivan âgé de 9 ans, son épouse ayant quitté le bord avec leurs deux autres enfants.
Pour assurer le quotidien, Henry fait des travaux sur d’autres bateaux. Il va balayer les cales des navires transportant du riz et en récupère ainsi quelques kilos à chaque fois. C’est la débrouille !
Alors que personne ne s'y attend plus, un jour la nouvelle court sur les quais du carénage que le "Nahoon", le bateau d'Henry, est prêt pour sa première sortie.
Les caisses du bord étant plus sèches que la cale de son bateau, il faut rentabiliser cette journée d'essai. Il confie la "commercialisation" de celle-ci à ses copains tout aussi fauchés que lui et que les gens qu'ils fréquentent.
La seule qui peut mener à bien cette affaire, c'est Elisabeth, elle travaille et fréquente un autre monde.
Elle ne connaît Henry que par les récits de ses copains.
Un soir, Robert l’emmène sur le "Nahoon". Lorsqu'ils arrivent sur le bateau, Henry sort de la chambre à moteur où il nettoyait un des deux moteurs du bord.
Il en déduit que l'affaire est conclue. Elisabeth a-elle vraiment tout compris ?
Le temps est clément, la mer belle, l'aventure les mène jusqu'à l'îlet Gosier où ils partagent l'habituel repas de fête du bord : haricots et mouques (grosse moules très consistantes) ramassées et cuisinées par Henry. A la fin de la journée lors du retour au port, Henry constate que le presse-étoupe de la seule hélice utilisable n'est pas étanche.
Le bateau rentre sans encombre, et les passagers ne s’aperçoivent de rien. Henry est content mais le souci sur le presse étoupe demeure.
Dès leur retour au port, Henry arrive en godillant sur son "canot" appelé « gruyère » à cause son étanchéité. Il vient aux nouvelles et exprime son inquiétude du temps qu'ils ont passé pour faire ce modeste convoyage.
"Iwana" est tiré à terre pour une inspection générale sous l'œil averti d'Henry. Diagnostic pas très favorable, les boulons de quilles sont complètement oxydés. Peur rétrospective pour les heureux propriétaires qui pensent à leur navigation.
Les rencontres avec Henry se font plus nombreuses. Elisabeth se sent bien sur ce bateau, après une période personnelle éprouvante (la perte de ses deux parents), elle retrouve une certaine sérénité.
Début 1975, elle pose ses valises à bord "Nahoon". La vie à bord s’organise, Henry continue la remise en état du bateau avec l’aide d’Ivan, Elisabeth assume toujours ses fonctions au Lycée, donc plus de soucis d’argent pour le moment.
Elle organise ses quartiers :
Dans le « poste avant », quartier d'Ivan, elle installe la machine à coudre d’Henry et y ajoute son coin couture.
La cale de charge, remplie de matériaux de récupération est le domaine exclusif d'Henry, idem de la chambre moteurs, qui sert de local technique ou se trouve un petit groupe électrogène qui alimente les quelques ampoules du bord.
Le carré, avec un coin nuit, deux couchettes doubles et trois simples, un coin repas avec une grande table avec de vraies chaises et même un petit fauteuil en osier souvenir de la mère d’Elisabeth, est le cœur de la nouvelle famille.
Le poste arrière, le coin "nav" avec sa table à carte.
Dans la cale du poste arrière : deux cuves d'environ 1,5m3 pour le stockage de l'eau douce et un emplacement pour les provisions.
Dans la coursive, face à la descente du carré, la barre, à droite, une petite cuisine (une gazinière, un point d'eau de mer pour la vaisselle et un d’eau douce), à gauche, un WC avec douche (tuyau + pompe). La production d'eau chaude est assurée par une chambre à air de camion posée sur le roof de la « salle d’eau ».
Il est bien connu des autorités maritimes pour avoir débarrassé, quelques années auparavant, la baie de Pointe à Pitre de son épave. Il était le seul suffisamment "fou" pour entreprendre ce genre de travail.
Au cours de l’année 1975, Henry est sollicité pour déplacer l'épave d'un bateau qui a sectionné le câble d'alimentation électrique de Terre de Haut, aux Saintes.
A l'aide de ses « tirfor », en une semaine, depuis la plage, il dégage le câble. Cette opération lui rapporte 10 000 F (environ 1500€) qui permettront de payer une partie du carénage.
Plus d'un quart de siècle après, lorsque j'étais à la recherche d'informations, sur le "Caraïbe", les gens de la DDE n'avaient pas oublié "ce fou d'anglais".
Après les derniers essais sous voiles, le Nahoon lève l'ancre en direction de la Martinique en mars 1976 accompagné par Gérard, un collègue à Elisabeth, Sonia, son épouse et leurs deux filles.
Le but de ce voyage, en dehors de faire une vraie navigation, est de procéder à une inspection et de caréner, nettoyage extérieur de la coque pour la débarrasser des algues et des coquillages qui s’y accrochent et passage d’une peinture antifouling. C'est une peinture dite "antisalissure" contenant des biocides et destinée à empêcher les organismes aquatiques de se fixer sur la coque des navires.
Pour Elisabeth, c’est une grande première, comment va-t-elle se comporter ? Aura-t-elle le mal de mer ? La météo est clémente, mer plate petite brise, même le passage du canal de Dominique se passe bien. Pour une première sur ce grand navire c'est plutôt rassurant pour l'avenir.
Rendez-vous est pris au bassin de radoub de Fort de France.
Arrivé dans la baie de Fort de France, gros moment d’émotion. Près de l'Abri Côtier, un petit bateau attire l'attention d'Henry, il s’agit du « Wanda » bateau de 7m50, qu’Henry a construit à Cape Town dans les années 1950. Bien entendu, une visite s’impose. Moment très émouvant pour tous.
Le bateau entre au bassin, les écluses sont fermées et les pompes entre en action pour le vider, les bateaux sont au sec.
Les vacances de Carnaval sont terminées, Elisabeth regagne son poste en Guadeloupe.
Elle fait des allers et retours entre les deux îles tous les week-ends pour rejoindre le bord à Fort de France.
Pendant ce temps, au bassin de radoub on ne chôme pas. La coque est piquée pour en vérifier l'état, et là pas que de bonnes surprises.
A certains endroits la tôle est en très mauvais état et les réparations doivent se faire sans délais, sécurité oblige.
Reste le problème du presse étoupe, la fuite n'est pas trop importante et Henry n’a pas le matériel nécessaire, il faut du gaïac, appelé aussi bois de fer. La réparation s'ajoute à la liste des choses à faire.
Les travaux durent environ un mois, et le cap est remis sur la Guadeloupe avec le même équipage.
La vie à bord reprend son cour, des journées laborieuses et des week-ends festifs.
Cependant un problème tracasse Elisabeth et Henry depuis un moment. Le bateau n'est plus une épave et l'administration risque un jour de se manifester et demander à ce que le Nahoon soit enregistré. Les frais engendrés par cette francisation, les mesures de jauges qui permettront de taxer annuellement le bateau, ne sont pas dans leurs moyens.
Le grand départ est alors décidé, Henry veut voguer vers d’autres cieux sous le pavillon de St Vincent (Grenadines). Elisabeth décide de le suivre.
Elle fait une demande de mise en disponibilité, qui prendra effet à partir de septembre. Elle rend les clefs de son appartement et part pour la grande aventure !
Au mois d'octobre, les voilà sur le départ pour Pigeon Island, au nord de Sainte Lucie. Le canal de Sainte Lucie ne manque pas à sa réputation. La houle est formée, le vent bien installé, d'Elisabeth n'est pas très à l'aise.
Sur les conseils d'Henry, elle se confectionne un sandwich beurre, sardine et piment. Effets garantis, la "croisière" continue et arrive à Rodney Bay au nord de Sainte Lucie où ils passent quelques jours.
Le voyage vers le sud continue avec un arrêt de quelques mois à Béquia.
Le Nahoon mouille dans la baie Admiralty Bay devant Port Elisabeth.
Cette escale n'est pas que touristique, la fuite au presse-étoupe de l'arbre d'hélice (un seul moteur à été remis en service) demande une réparation, maintenant, urgente.
L'intervention se faisant sous la ligne de flottaison, la décision d'incliner le bateau est prise. Des aussières frappées en tête des mâts sont reprises sur les "Tirfor" et à l'autre extrémité les énormes ancres, les chaînes et annexes remplies d'eau tiennent lieu de corps-mort.
Ils vivent pendant une dizaine de jours dans un bateau incliné à environ 40°, ce qui amène la ligne d'arbre à quelques centimètres de la surface et la réparation peut avoir lieu. Le bateau est remis dans ses lignes.
Elisabeth se plait beaucoup à ce mouillage, c’est un havre de paix. Ils y restent six mois.
Les journées s’écoulent tranquillement, Henry travaille, Ivan l’aide. Elle lit beaucoup et coud la layette pour le bébé qui va naître au mois d’août (1977).
Henry a récupéré un petit lit dans une décharge, qui poncé, repeint, habillé, fera un confortable berceau pour le bébé (Ce sera aussi, 32 ans plus tard, le berceau du fils du bébé à naître). Elisabeth fabrique matelas, oreillers et coud tout le nécessaire.
La vie sur cette île est bon marché, pour environ 100F (15€) ils se nourrissent à trois sans problème. Elisabeth fait la cuisine. L’ordinaire du bord est surtout constitué de riz, lentilles ou haricots agrémenté de « corned beef », de conserves donnés par d’autres bateaux ou de dos de poulet que l’on trouve dans un "lolo", légumes et fruits frais achetés au marché du vendredi.
Lorsque Henry ne travaille pas, ils font de grandes promenades dans l’île.
Si l’argent vient à manquer, Henry, que sa réputation précède, n'a pas de mal à trouver un travail à faire sur un bateau.
Le problème le plus aigu de ces petites iles basses des Grenadines est le manque d'eau douce. Leur faible relief ne permet pas à l'air océanique de s'élever pour engendrer la formation de nuages apporteurs de pluie.
Pour palier ce manque, sur l'île de Mayreau, un peu plus au sud, le père Divonne, bénédictin Français, en 1972 encouragea la population à construire un grand récupérateur d'eau à flan de colline, ce qui améliora bien la vie de ces habitants.
Pendant les escales à Béquia (six mois en 1976 et un an en 1978), ils n'ont pas eu ce problème, les cuves sont alimentées par les grains. L'utilisation de l'eau de mer étant privilégiée sauf pour le bain de Valentine (8 mois), le rinçage de ses vêtements, la cuisine et bien entendu la consommation.
Le plus pénible pour Elisabeth est de faire la lessive à la main.
Henry confectionne une machine à laver avec un tambour de récupération "attelé" à un petit moteur diesel sorti tout droit du grand bazar (la grande cale).
Grand récupérateur, il croise un stock de pots de peinture un peu sèche. Retour dans la cale "d'Ali Baba", Il sort un vélo, il bricole une éolienne, il réuni le tout, fixe un pot de peinture sur chaque pédale et voilà un agitateur écologique. Le pont retrouvera une santé.
La naissance est prévue vers le mois d'août, la destination suivante sera Port of Spain à Trinidad, où ils espèrent trouver des infrastructures médicales capables de procéder à l'accouchement.
Le bateau est lourd, pas rapide, mais il arrive à l’île de Grenade, Henry mouille à l’extérieur du port Saint Georges car il est trop petit pour les accueillir.
Ce voyage depuis Béquia et l'escale à Grenade d'une dizaine de jours, met Elisabeth hors du temps. C'est idyllique, elle trouve qu’elle a beaucoup de chance de vivre ce voyage en attendant tranquillement son bébé malgré le manque de suivi médical. Sans doute un des plus beaux moments de sa vie.
Un peu de « snorkeling » avec Ivan dans les récifs de Grenade, l’endroit est paradisiaque.
Un matin le vent met un peu de bonne volonté, vers dix heure du matin les voiles sont envoyées. Ils naviguent toute la journée. En début de nuit, ils identifient, sur bâbord le phare de Chacachacare, annonçant l'entrée des bouches du Dragon, puis rapidement il est perdu de vue. Henry maintient le cap.
En fait un très fort courant, toujours présent dans cette région, fait dériver le Nahoon vers l'Ouest, et le phare disparait derrière la pointe Penas (Vénézuéla)
Plus tard, apercevant les côtes Vénézuéliennes, Henry met le moteur en service et prend un cap plein Est pour longer la côte vers Trinidad.
Pour Elisabeth, c’est le moment le plus invraisemblable, de toute sa vie.
Fatiguée, elle est allée se coucher et s'endort. Quelques heures après, mal réveillée, elle demande à Henry « où sommes-nous ? » « en Amérique du Sud ! ». Pendant un instant, elle perd toute notion de temps, de lieu, se disant « moi en Amérique du Sud, mais qu’est ce que je fais là ? » Ayant repris pied, elle s'installe sur le pont et regarde la côte défiler doucement, très doucement pour finalement arriver aux aurores à l’entrée de la Bouche du Dragon.
Port de commerce et port de pêche, Port of Spain est loin et même très loin des mouillages paradisiaques qu'ils ont rencontrés pendant leur descente.
Nous sommes en avril, mai 1977, la vie à bord reprend son cours, Henry continue l'entretien du bateau et trouve toujours des petits jobs sur le port.
Cela lui permet de faire la connaissance d'un commandant d'un cargo mouillé aussi dans l'avant port qui contre une intervention le rétribue en faisant le plein de gas-oil du Nahoon.
Elisabeth, elle, recherche une maternité et trouve le "Community Hospital of Seventh-day Adventists". Elle prend son premier rendez-vous médical depuis qu'elle est enceinte.
Le médecin trouve tout le monde en bonne santé et prévoit la naissance entre le 20 et 25 juillet, en désaccord avec Elisabeth qui elle l'estime entre le 10 et 15 août.
Ils seront mis d'accord dans peu de temps. Le mois de juillet arrive à son terme et Elisabeth est toujours à bord.
Le 11 août, vers vingt heure, elle commence à ressentir les premières douleurs, Henry l'accompagne à l'hôpital et Valentine nait le vendredi 12 août.
L'accouchement c'est bien passé, la mère et l'enfant se portent bien, donc aucune raison de rester plus longtemps à l'hôpital, samedi Valentine fait connaissance avec le Nahoon.
La vie reprend son rythme, mais las de cet environnement triste et insalubre, ils décident de lever l'ancre et de chercher un mouillage plus tranquille et surtout plus propre.
Ils trouvent leur bonheur à quelques miles, à l'Est de Saint Peters bay.
Le lendemain, en fin d’après midi, visite des douaniers qui leur indiquent qu’ils n’ont pas le droit de mouiller là, que c’est une zone militaire. De plus, ils prétendent qu’ils n’ont pas fait de "clearance" (taxe imposée à un bateau en provenance ou à destination d'un autre pays).
En fait, deux de leurs collègues sont venus à bord le jour de l'arrivée quelque mois avant et Henry pensait que le nécessaire avait été fait.
Lors de cette visite, le Nahoon arrivant de Martinique, une bouteille de rhum avait été au centre de la discussion, Henry n'ayant pu satisfaire à leur demande, ils n’avait sans doute pas enregistré la démarche.
Les douaniers somment Henry de les suivre pour se mettre en règle. Pas trop de moyens de se soustraire à cette injonction.
Elisabeth monte sur le pont ferme les écoutilles puis les rejoint, Très vite l'atmosphère du carré est irrespirable, il fait très chaud et le bébé se met à pleurer, c’était son but !
Sauf qu'il est hors de question pour Elisabeth de rester seule à bord avec les enfants.
Elle demande à Ivan de se préparer, prend sa fille sous son bras et dit aux douaniers « nous pouvons y aller». Comme elle l’espérait, les douaniers renoncent à emmener Henry et toute sa famille et lui donne rendez vous pour le lendemain.
Valentine n'a aucun problème pour découvrir la vie dans ce milieu peu ordinaire.
Le Nahoon fait les escales classiques, Grenade, Canouan et Béquia, à Admiralty Bay où ils séjournent jusqu'à fin 1978. Valentine y fait ses premiers pas.
S'ils n’ont pas souffert du manque d'eau en descendant, ce n'est pas la même chose maintenant.
Pour les provisions, les demandes de "service" des bateaux au mouillage ne manquent pas et souvent, Henry est payé en vivres ou en boîtes de conserve.
N'étant pas équipé de frigo, Elisabeth stérilise les produits frais à la cocotte minute.
C'est Ivan qui est chargé de la vente auprès des bateaux de charter et ça marche bien.
Il y a aussi une autre source d'approvisionnement non négligeable. Le bateau de charter d'un grand hôtel Martiniquais, sur la route du retour vient mouiller à notre proximité et nous offre leur surplus de vivres.
C'est d'autant plus appréciable que c'est une fréquence hebdomadaire.
Nous avons même bénéficié une fois, en fin de saison, du renouvellement du linge de toilette.
En septembre, Henry repeint le bateau de fond en comble et estime qu'il est prêt à recevoir des clients. L'annonce passée dans la revue "Voiles et Voiliers" propose le transport et le gîte dans les Grenadines aux plongeurs pour une somme dérisoire (500 F soit 80 € par jour pour le bateau et les clients font leurs affaires de l'intendance).
La réponse ne tarde pas, un groupe d'une dizaine de plongeurs retient le bateau pour les vacances de Noël.
La décision de regagner la Martinique est prise pour récupérer les clients. Elisabeth est triste de quitter Béquia, ce petit paradis.
Vers la mi-décembre, le Nahoon arrive dans la baie de Fort de France et mouille au large de l'abri côtier, bar restaurant de la Pointe Simon, connu de tous les bourlingueurs de l'époque, aujourd'hui malheureusement disparu.
Le charter est un fiasco complet. Le "confort" du bateau ne correspond pas du tout, mais alors pas du tout, aux attentes du groupe.
Quatre plongeurs partagent les couchettes du carré, les six autres sont dans le poste avant.
La destination, par manque de vent est oubliée, le bateau mouille sur différents sites à Sainte Lucie.
Même si les fonds de Sainte Lucie sont aussi beaux que dans les Grenadines, le retour sur Fort de France ne se fait pas dans la bonne humeur.
Ce sera la seule et unique expérience de charter du bateau que connaitra le bateau.
A l'approche de la saison cyclonique le Nahoon est mouillé à Californie, sous la raffinerie de pétrole de la SARA, au fond de la baie de Fort de France.
En mai 1979, Elisabeth demande à réintégrer son poste, ce qu'elle obtient sans problème. Même si l'argent n'a jamais posé de problème, maintenant plus de soucis elle est à nouveau fonctionnaire.
Début août 1979, le cyclone David, se déchaîne sur la Martinique. De trois heures du matin à la fin de matinée, la famille à bord vit toutes les angoisses que vous imaginez. Les lignes de mouillages ont permis au Nahoon d'étaler le mauvais temps sans dégâts. Ce n'est pas le cas pour les autres bateaux. Beaucoup ont été portés à terre.
Fin août de l'année suivante, c'est le cyclone Allen qui fait un "bis repetita", les mêmes angoisses à bord, mais tout se passe bien.
Les nouvelles conditions de vie ne conviennent plus à Elisabeth. Le projet d’Henry est de quitter la Martinique pour la Nouvelle Zélande.
A-t-elle vraiment envie de cela ?
Elles quittent le bord en août 1981 et s’installe à terre.
A la rentrée de septembre, elle reprend ses fonctions à la cité scolaire Frantz Fanon à La Trinité.
Malgré tout, cela reste pour Elisabeth un souvenir extraordinaire, sans aucun regret d’avoir fait ces choix.
Aujourd'hui, Valentine, est astrophycienne au CNRS.
En 1984, "Operculum" est prêt pour sa nouvelle destination, la Nouvelle Zélande.
Avant le départ, Nahoon est vendu à un blanc créole qui souhaite en faire un restaurant.
Il commence les travaux d'aménagements des superstructures, mais il n'eut jamais les autorisations nécessaires pour réaliser son projet et le bateau reste à l'abandon de longues années (une dizaine) au mouillage de Californie.
Dans les années 90, le COREMA (Comité Régional Martinique de Plongée) est à la recherche d'un bateau suffisamment grand, qui, une fois immergé, pourra servir de récif artificiel et de site de plongée.
La "Fougueuse", un bateau de la Marine Nationale, basé au Fort Saint Louis à Fort de France, doit être désarmé. Le COREMA se rapproche des autorités militaires pour négocier et prendre en charge ce navire et réaliser son projet. Il se voit opposer un refus.
Les Affaires Maritimes, connaissant le projet et le refus des militaires, suggère au COREMA de s'intéresser au Nahoon. Abandonné au fond de la baie, il est devenu un point de rendez-vous de gens peu fréquentables. Les Affaires Maritimes, les douanes et les services de police, ne peuvent qu’appuyer le projet du COREMA.
Après de longues démarches auprès des autorités compétentes, le COREMA est autorisé à réaliser son projet. Le Nahoon est dépollué : élimination des huiles moteur, nettoyage des soutes et démontage des aménagements intérieurs.
Le 2 octobre 1993, il est remorqué au large de l'Anse Dufour, dans la baie de Fort de France, les vannes de fond de cales sont ouvertes et c'est avec beaucoup d'émotion que les personnes présentes voient le bateau sombrer lentement.
Très rapidement, il devient un site incontournable pour les plongeurs de Martinique et d'ailleurs, venus profiter de la clémence de l'île.
Mais, surtout et le plus important, le COREMA ne s'est pas trompé, le Nahoon a été colonisé très rapidement par toutes sortes de coraux, d'éponges et par une grande variété de poissons, dont un beau barracuda qui en assure le gardiennage.
Fin 1999, le cyclone Leny, passe au nord de la Guadeloupe, engendrant une houle très forte qui déferle sur la côte Caraïbe de la Martinique, endommageant un second mât.
Le jeudi 29 novembre 2007, un séisme d'une amplitude de 7,3 secoue la Martinique, renseignements pris auprès des clubs de plongée, le NAHOON n'en a pas souffert.
En 2010, une très forte houle entre dans la baie et a raison du deuxième mât.
Victime de son succès, on ne compte plus les plongeurs qui se sont fait photographier à la barre du Nahoon. Ce qui devait arriver arriva, elle a fini par rendre l’âme.
Heureusement, des plongeurs ont pris les choses en mains.
Le Nahoon garde fière allure et si vous avez l'occasion de lui rendre visite, faite le avec respect, afin que pendant longtemps encore nous puissions admirer ce bateau qui ne veut pas mourir.
Henry est décédé en Nouvelle Zélande en avril 2017 et Yannick son épouse l'avait précédée en novembre 2015.
Aujourd'hui, en décembre 2024, Operculum, navigue dans le Pacifique, avec Yvan, le fils ainé d' Henry, à la barre.
➤ Fin de la saga du Quinette de Rochemont. ◄