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Archives du dossier d'émigré d'André Bernard DUHAMEL

Plantons le décor, au niveau national ...

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Dès les premières années de la Révolution, de nombreux Français quittent clandestinement la France pour les pays d’Europe et d’Amérique, abandonnant leurs biens.

On distingue deux vagues de départ. La première, antérieure à 1792, est essentiellement aristocratique et contre-révolutionnaire. Émigration volontaire, elle s’organise autour du Comte d’Artois, futur Charles X, avec la ferme intention de rétablir la Monarchie par les armes. L’Assemblée nationale en les considérant comme des traîtres à la Patrie, vote la loi du 8 avril 1792 sur la confiscation des biens de ceux qui étaient absents du territoire depuis le 1er juillet 1789, biens dont la vente est décidée en septembre de la même année. Une première liste officielle des émigrés est alors dressée.

La seconde vague, motivée par la Terreur, est, quant à elle, plus importante et forcée. Elle concerne toutes les classes sociales que ce soit la noblesse, le clergé, la bourgeoisie, les ouvriers ou les paysans. Outre le contexte de guerre, l’ampleur de ce mouvement trouve sa source dans le durcissement de la loi qui prévoit la déportation des prêtres réfractaires (décret du 26 août 1792), instaure le bannissement à perpétuité et la peine de mort en cas de retour sur le territoire (décret du 25 octobre 1792), sanctions rendues immédiates (décret intitulé « Contre les Émigrés » du 28 mars 1793)) puis étendues aux parents des prévenus « Loi des Suspects » du 17 septembre 1793).

La fin de la Terreur porte un coup d’arrêt à ce mouvement de masse pour amorcer une phase de retours progressifs amplifiée par une législation de moins en moins répressive. Ainsi, la circulaire du 30 pluviôse an IV (19 février 1796) oblige le Directoire exécutif à statuer définitivement sur les demandes de radiation des listes d’émigrés.

Émigré

La constitution du 5 Fructidor An III (22 août 1795) a pris soin, dans son article 373, de définir l'émigré :

" La Nation française déclare qu'en aucun cas elle ne souffrira le retour des Français qui, ayant abandonné leur patrie depuis le 15 juillet 1789, ne sont pas compris dans les exceptions portées aux lois rendues contre les émigrés ; et elle interdit au Corps législatif de créer de nouvelles exceptions sur ce point. - Les biens des émigrés sont irrévocablement acquis au profit de la République."


Création des listes des émigrés

Extrait des Archives Nationales

Dès l’été 1791, des listes locales de personnes absentes de leur domicile sont dressées, conformément aux dispositions de la loi du 1er juillet 1791. Il s’agit des « Listes des absents » destinées à recenser les propriétaires fonciers en vue de confisquer leur patrimoine comme indemnités dues à la Nation.

Précisées et généralisées par les textes des 8 avril 1792, 28 mars 1793 et 25 juillet 1793, ces listes deviennent une arme non plus seulement contre les biens mais aussi contre les personnes sous la forme de « Listes des émigrés » : elles font partie du processus de mesures prises à leur encontre constituant tout à la fois la « mort civile » des personnes mentionnées et la confiscation de leurs biens.

La loi du 28 mars 1793 intitulée « Contre les émigrés » synthétise les dispositions antérieures et opère un durcissement de la législation souhaité par la Convention nationale. Ce texte définit précisément les conditions dans lesquelles une personne peut être prévenue d’émigration. En outre, une simple constatation d’absence à un moment déterminé suffit à y faire inscrire le nom d’une personne et la législation en la matière encourage la délation (loi du 14février 1793). Le texte établit par ailleurs les peines sur la personne et les biens, complète les modalités de formation des listes des noms et des biens (établies conformément à la loi du 8 avril 1792 selon laquelle les biens des émigrés sont mis aux mains de la Nation) et fixe les modalités de réclamation contre les listes d’émigrés (délais, cas d’exception, modèle de certificat de résidence en annexe).

Établies dans les communes, les listes d’émigrés sont centralisées par le directoire de district sous huitaine, puis par l'administration du département où elles sont imprimées, publiées et affichées dans leur territoire de ressort. Elles sont enfin transmises à l’administration centrale en charge des émigrés (ministère de l’Intérieur, ministère des Contributions publiques, Commissaire régisseur des Biens nationaux et, à partir de 1793, ministères de la Justice et de la Guerre) et à tous les départements du territoire de la République. Ainsi, la première liste générale des émigrés de l’an II dresse l’état par ordre alphabétique des personnes réputées émigrées sur le territoire de la République tout en précisant leur lieu de résidence principale, les lieux dans lesquels elles possèdent des biens et la date de l’arrêté les portant sur la liste du département qui a constaté l’émigration. Ce premier état, complété et mis à jour jusqu’en l’an IX par cinq listes supplétives comprenant les personnes oubliées ou parties ultérieurement, n’a globalement que peu servi à l’établissement des séquestres. En effet, la plupart des confiscations ayant eu lieu avant les inscriptions, cette liste a surtout permis de les comptabiliser. Elle était par ailleurs un outil de référence pour les autorités locales en vue de délivrer des passeports, des certificats de résidence ou pour la gestion des successions.

Gestion des procédures de demandes de radiation

En raison du nombre important de personnes n’ayant effectivement pas émigré, l’inscription sur ces listes peut faire l’objet d’une réclamation dès mars 1793. Les dossiers sont alors instruits par les municipalités, transférés aux districts (ou cantons sous le Directoire) puis aux départements : le Bureau des émigrés du département est chargé de la centralisation et de la transmission des pièces ainsi que de l’instruction des demandes et le Directoire de département (ou Conseil général à partir de 1795 jusqu’au Consulat) statue en faveur de la radiation ou du maintien sur la liste. L’arrêté de radiation pris par l’exécutif départemental reste cependant provisoire jusqu’à l’obtention d’un avis définitif émanant de l’administration centrale. Pour cela, les éléments constitutifs du dossier sont envoyés à Paris pour y être examinés par l’administration compétente dépendant, selon la période, du ministère de l'Intérieur, du ministère de la Police générale ou du ministère de la Justice.

Sur la durée, on constate que les procédures évoluent peu : toute demande émane d’une saisine auprès des autorités locales pour contester l’inscription sur la liste et la mise sous scellés des biens en prouvant sa présence sur le territoire à un moment donné. Après avis provisoire des autorités locales, la décision est confirmée ou non par l’administration centrale et l’exécutif en place sur rapport du ministre, cette décision est rendue publique le mois suivant.

On observe une augmentation des demandes effectuées après la Terreur et une facilité croissante d’obtention des radiations. Le nombre de demandes varie alors en fonction de la définition légale de l’émigré, des possibilités de recours offertes par les autorités et de leur volonté de rétablir les personnes dans leurs droits.

L’Assemblée constituante oblige dans un premier temps tout Français absent du Royaume depuis le 1er juillet1789 à rentrer en France dans un délai d’un mois. Ainsi, à l’exception de certaines catégories de personnes, ceux qui ne regagnent pas le territoire français sont réputés émigrés. Cette définition très large de l’émigration fait donc basculer une quantité importante de personnes dans l’illégalité.

Il en résulte la constitution à la hâte des premières listes recensant les propriétaires absents de leur domicile sans enquête préalable notamment concernant la fixation du domicile principal et sans tenir compte des mutations récentes de propriété.

Cependant, les séquestres établis sur les biens sont perçus comme une mesure conservatoire dite« Indemnités à la Nation des frais de Guerre » : le fisc se substitue alors aux propriétaires en leur absence pour assurer la gestion de leur domaine en attendant le retour des émigrés (décret du 9-12 février 1792 et décret d’application du 29mars 1792).

L'Assemblée législative met en place un système de radiation provisoire révélant les efforts de l’administration pour réparer les fautes de la législation antérieure : les lois du 12 février 1792 et du 8 avril 1792 permettent à ceux rentrés depuis le 9 février ou dans un délai d’un mois d’être réintégrés dans leurs biens.

Sous la Convention nationale, les lois sur les émigrés prennent un tournant plus répressif puisqu’elles prononcent le bannissement à perpétuité de ceux qui ne sont pas rentrés sur le territoire français, le principal chef d'accusation étant l'abandon de la Patrie en péril. L'absence est assimilée à la désertion et doit être punie. Le décret du28 mars 1793 donne une définition plus large de l’émigration, déclare la mort civile des personnes réputées émigrées et ordonne la continuation des listes. La loi entend également à lutter contre les tentatives de fraudes par la réforme du certificat de résidence.

Enfin, les personnes inscrites sur les listes disposent d’un mois pour formuler une réclamation contre les listes arrêtées par le Directoire de département. En revanche celles qui n’ont formulé aucun recours dans le délai imposé par la loi ne peuvent plus faire de réclamations.

Cependant, alors que la première liste générale est arrêtée par les ministres de la Justice, de l’Intérieur et des Contributions publiques, le décret du 5 brumaire an III [26 octobre 1794] réintègre provisoirement dans leurs propriétés les prévenus portés sur la liste dont les biens ont été séquestrés qui ont réclamé et justifié de leur résidence en temps utile et obtenu un arrêté favorable des administrations départementales. Ceux-ci sont tenus d’en informer leur commune et de rester sous surveillance (loi du 1er fructidor an 3 [18 août 1795]).

La loi offre également la possibilité aux ouvriers, laboureurs, non ex-nobles ou prêtre sortis du territoire depuis le 1er mai 1793 de revenir sur le territoire sans être inquiétés. Ce changement d’attitude sous la Convention nationale traduit à la fois une réelle volonté de fermeté à l’égard de ceux qui sont partis et une volonté de réintégrer de plus en plus de personnes dans leurs droits et leurs biens après les abus de la Terreur. Sous le Directoire, l’assouplissement de la législation contribue à faire revenir sur le territoire français nombre de personnes qui étaient parties. De même, le nouveau gouvernement œuvre dans le sens d’une meilleure régularité dans le traitement des demandes de radiations et cette volonté se traduit notamment par le transfert de compétences en matière d’émigration du ministère de l’Intérieur au ministère de la Police générale qui, tel que le conçoit Joseph FOUCHÉ, est d’abord un ministère chargé des affaires de sûreté et de la surveillance des ennemis de la République. La réorganisation des bureaux et la mise en place des procédures administratives a donc pour objectif principal de statuer définitivement sur les demandes en cours. Cette volonté est concrétisée par l’arrêté du 1er ventôse an V [19 février 1797] qui ordonne la publication de nouvelles listes par les administrations départementales et la clôture des demandes. Ce dispositif est complété par l’arrêté du 26 fructidor de l’an V [12 septembre 1797] qui crée un « Bulletin des demandes de radiation » : le premier de chaque mois, le ministère de la Police générale imprime un état des individus réclamant leur radiation puis procède à l’examen des pièces avec rédaction d’un rapport tendant à la suppression de leur nom. Ce bulletin est ensuite affiché dans les municipalités. Par souci de visibilité, un second arrêté ordonne la publication d’un recueil alphabétique des individus rayés de la liste.

Loi du 19 fructidor an V

(5 septembre 1797)


Extrait

Article XV. Tous les individus inscrits sur la liste des émigrés, et non rayés définitivement, sont tenus de sortir du territoire de la république ; savoir de Paris et de toutes autres communes dont la population est de vingt mil habitants et au-dessus, dans les vingt quatre heures qui suivront la publication de la présente loi ; et dans les quinze jours qui suivront cette même publication, de toutes les autres parties de la République.

Article XVI. Passé les délais respectifs prescrits par l'article précédent, tout individu inscrit sur la liste des émigrés, et non rayé définitivement, qui sera arrêté dans le territoire de la république, sera traduit devant une commission militaire, pour y être jugé dans les vingt quatre heures, d'après l'article 2 du titre 4 de la loi du 25 brumaire an 3 relative aux émigrés.

Article XVII. Cette commission sera composée de sept membres qui seront nommé par le général commandant de la division militaire dans l'étendue de laquelle l'individu inscrit sur la liste des émigrés, et non rayés définitivement, aura été arrêté.
Les jugements ne pourront être attaqués par recours à aucun autre tribunal, et seront exécutés dans les vingt quatre heures de leur prononciation.

Article XVIII. Les dispositions ci-dessus sont applicables aux individus qui, ayant émigrés, sont rentrés en France, quoi qu'ils ne soient inscrits sur aucune liste d'émigrés.

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